« Les espèces qui survivent ne sont pas les plus fortes, ni les plus intelligentes mais celles qui s´adaptent le mieux au changement»,Charles Darwin en 1859.
Le défi actuel pour les communautés natives des Andes et d’ailleurs est de mobiliser leurs énergies afin de se fédérer autour d’un projet porteur de sens, le but commun étant d’éviter que leurs traditions ne tombent dans l’oubli. Il existe, paraît-il, pléthore d’initiatives dans ce sens autour de Cuzco, dans la vallée sacrée péruvienne… Après quelques prises de contacts de-ci de-là, je décide d’arrêter mon choix de visite sur le projet qui me semble le plus carré, abouti et sincère dans sa démarche de promotion des savoirs traditionnels indigènes.
À propos du tourisme.
Les 3/4 de l’humanité ne parlent jamais de «partir en vacances» ou «d’effectuer un voyage pour le plaisir, la quête de soi-même, la soif d’apprendre…” En quelques décennies,le tourisme s’est pourtant imposé comme la 1ère industrie mondiale. Et l’on ne peut pas franchement parler de tourisme respectueux de l’écosystème en général. Au Bélize, les infrastructures côtières sont détenues à 90% par des sociétés américaines…
Un jeu de spéculation financière débordant parfois sur les populations qui finissent souvent par être déplacées mais ceci est un autre sujet…
Trouver de l’ »authentique » au Pérou dans les alentours de la célébrissime ville-étape qu’est Cuzco relève du défi: La culture y est très largement diluée au profit d’un essor touristique de type industriel.
Le milieu montagnard est globalement plus épargné que le littoral mais ce n’est pas le cas dans la région de Cusco… Une affluence journalière de 3000 touristes sur le Machu Picchu: Rien qu’à l’évocation de ce chiffre, on comprend ce qui a pu pousser autant d’investisseurs à s’installer confortablement dans le paysage…

Macchu Pichu, la nature a repris ses droits.
Heureusement, il reste quelques villages d’irréductibles andins qui résistent encore et toujours à l’envahisseur!
Amaru : la communauté où les femmes s’activent pour valoriser leurs richesses.
C’est au cœur des montagnes à l’est de Pisac que je pars à la rencontre d’une petite communauté qui va m’accueillir les bras grand ouverts. Implanté dans la vallée sacrée non loin des prestigieux vestiges du Machu Picchu, le district de Pisac est connu pour son temple construit au 15è siècle par Pachacutec, 9ème empereur de la civilisation inca. La seule façon d’arriver au village Amaru est de se chauffer pour entreprendre une grimpette de quelques dizaines d’heures ou de sauter dans un taxi. L’option n°2 l’emporte, moins aventureuse certes mais humainement plutôt marrante car, preuve flagrante que nous sommes dans un patelin, le chauffeur est un cousin de ma future hôte, Rufina…Il me dépose sur le pas de sa porte et m’intronise même auprès d’elle pendant que je m’extasie sur des constructions de terre aux accents modernes.
Dans le registre des mélanges de genres, nous ne sommes certainement pas la plus forte des espèces mais l’homme dispose quand même d’une belle capacité d’adaptation! On garde ce qu’on a fait de mieux par le passé, on le fusionne avec de nouvelles trouvailles, on tâtonne, on perfectionne…
Bazar savant, subtil dosage…
L’accueil de choc de Rufina et ses copines!
L’endroit est joli, chaleureux…Il l’est encore plus quand une quinzaine de paires de tresses laisse apparaître son lot de petits yeux curieux dans l’encadrure de porte. Rufina s’avance vers moi, elle a le même air mutin que ses congénères et son enthousiasme me donne envie de chialer d’émotion. Elle m’invite à entrer et me voilà catapultée au beau milieu d’un cours magistral de cuisine. Un grand chef est venu exprès de Lima pour donner des tuyaux à ces dames sur d’innombrables recettes un peu “tradi-trendy” qui permettent d’accommoder dans une tonalité gastronomique cochons d’inde, maïs, quinoa et autres produits locaux. En bonne amatrice de boustifaille, je suis vraiment contente d’arriver pile au moment de l’atelier cuisine! Et le climat étant vraiment peu alléchant, je ne vois pas ce qu’on pourrait faire de mieux que se remplir la panse!!



Empanaditas de papa.
Les petits femmes aux longues nattes luisantes s’affairent aux fourneaux dans une délectation contagieuse et toutes les deux minutes, elles ont un nouveau met de fin gourmet à me faire goûter; N’ayant aucun échappatoire, je me dévoue alors de bon cœur pour faire le cobaye!
C’est pas tout ça mais il faut bien se rendre utile au bout d’un moment! Comme ces bonnes dames sont d’humeur taquine, elles me sortent de derrière les fagots une montagne de patates déshydratées à éplucher: un enfer mais je ne veux pas passer pour un bleu alors je garde un air digne en m’arrachant les doigts…et d’observer du coin de l’œil leur épatant petit ballet… Elles sont tellement pleines de vie, si jolies dans leurs rondeurs et visages émaciés rehaussés de ces deux petits perles noires qui brillent, et rebrillent à tout va. Moment de grâce.

Alitas de pollo empanadas con quinoa.

Ici toutes les familles possèdent une ou plusieurs “dépendances” pour recevoir des hôtes. Je serai logée chez Rufina, représentante de la communauté. Elle me laisse prendre mes quartiers dans une de ses chambres et me convie à la rejoindre un peu plus tard chez elle pour faire plus ample connaissance. À peine arrivée dans sa pièce principale, Rufina me tend un petit “flyer” présentant l’activité de tisseuse qu’elle et ses compagnonnes font découvrir aux visiteurs. Afin que je comprenne comment elle est entrée dans l’aventure du tourisme rural et communautaire, toute en sourires elle déroule le fil de sa vie: Un père qui buvait beaucoup, 8 frères et sœurs…
Elle arrête l’école à 10 ans pour travailler avec ses parents et quitte la maison familiale 5 ans plus tard le jour de son mariage.

Familia de Rufina.
Dans les années 2000, Rufina et d’autres femmes de sa communauté ont l’idée de lancer leur propre activité génératrice de revenus en invitant les voyageurs à découvrir l’héritage de leur culture ancestrale. Elles créent une association de tisseuses pour montrer et vendre leur artisanat.
Un focus sur le tissage pour commencer et progressivement, leur domaine d’activités s’étend à faire découvrir les plantes qui soignent, l’agriculture et la gastronomie andine.
Elles ne manquent jamais de servir à leurs hôtes la chicha de jora, une boisson sucrée à base de maïs qui peut être faiblement alcoolisée quand on la laisse fermenter; Delicioso!
En 2007, les tisseuses sont contactées par Tierra de los yachars, une association péruvienne soutenue par une fondation espagnole, CODESPA (ONG de développement généraliste, basée sur le principe de respect de la dignité humaine). À partir de 2010, l’association intervient dans la communauté afin de renforcer leur organisation autour du tourisme rural et communautaire.
Tierra de los yachars mène aujourd’hui le même type de mission au sein de 8 communautés de la vallée. Au total, 200 familles -ce qui revient à 2000 personnes environ- bénéficient de ces programmes.
L’objectif de Tierra de los yachars est d’améliorer la qualité des activités touristiques qu’offrent les différents villages et de les faire travailler ensemble. L’asso travaille sur 3 axes: la formation, l’accès au marché et l’octroi de microcrédits. Pour que les communautés ne deviennent pas dépendantes de l’association, une fois le travail terminé, c’est en complète autonomie qu’elles continuent d’administrer leur structure. Un des principes-clé du soutien aux communauté est basiquement celui de l’équité dans la distribution des bénéfices.
Les effets sont parfaitement visibles: Amélioration de la qualité de vie des bénéficiaires, valorisation de leurs traditions et conservation de la variété d‘espèces végétales disponibles sur leur territoire.
L’association a proposé aux femmes d’Amaru de parfaire leur projet en y apportant un double soutien technique et financier. Cette démarche leur a donné la possibilité de participer à différents ateliers en fonction de leurs besoins: “liderazgo” (leadership) , comptabilité-gestion, hébergement et l’accueil des visiteurs, langues, cuisine. Cette initiative a permis à Rufina d’apprendre à lire et écrire l’espagnol même si entre elles, les femmes continuent tout naturellement de communiquer en quechua…
L’activité de tourisme dit “vivencial” permet à la communauté de dégager des ressources complémentaires mais son économie demeure essentiellement basée sur l’agriculture et l’élevage. Parmi les cultures vivrières locales, la papa – ou pomme de terre, plus de 4000 variétés au pérou – est la star mais une place important est également accordée aux fèves, maïs, haricots ou blé qui se déclinent eux aussi en de nombreuses variétés…
Une règle d’or : On n’achète au marché que ce qu’on ne peut pas produire sur les terres de la communauté.
Toutes les remèdes sont dans le jardin de Carmen!
Dès mon arrivée, j’ai remarqué Carmen, une toute petite femme à la silhouette de jeune fille. Elle ne parle pas beaucoup mais son allure ainsi qu’un regard percutant trahissent en elle une force de vie quasi surnaturelle.
Carmen est la spécialiste des plantes médicinales. Elle me fait visiter son jardin et me montre avec plaisir toutes les ressources dont elle pour fabriquer des soins. Cataplasme de feuilles pour la désinfection des blessures, pommade contre les coups, infusion pour la toux… Tous les remèdes sont dans le jardin de Carmen. Je lui propose de se livrer à une petite démonstration, elle se prend au jeu, toute pleine de trac et d’exaltation, le tout en quechua, de bout en bout! J’apprends que la dent de lion – communément appelée pissenlit – se dit «pili pili» en quechua et Carmen me montre aussi le “michi michi” ou la “ccaya ccaya”.
Rufina à ses côtés traduit de temps en temps “langue de vache”, “queue de cheval” et pleins d’appellations qui me donnent soudain envie de faire des blagues de CP!



Les préparations médicinales de Carmen.
Ici personne ne se défonce à l’aspirine!
Pour chaque petit tracas, il existe une solution naturelle et on n’adopte qu’elle: tisanes de mélisse ou de camomille pour se détendre, fenouil et menthe pour digérer. Pas mal de point communs avec nos recettes de grand-mère effectivement, mais il y des préparations que l’on utilise moins en occident comme les “emolientes” , boissons chaudes matinales énergisantes à base d’orge, de quinoa ou de luzerne ou encore l’infusion de muña, sorte de menthe andine utilisée pour combattre les nausées et le sorroche– le tristement célèbre mal de l’altitude.
Je resterai bien plus longtemps avec cette joyeuse bande de nanas qui savent et font ce qu’elles veulent mais c’est le jeu, à peine le temps de se poser qu’il faut déjà refaire son paquetage.
6 mois ça parait long comme ça mais…il faut continuer d’avancer, s’habituer à d’autres sourires, connaître d’autres tranches de vie, d’autres visages. Señorinas, oh concentré de bonheur et de courage, je n’oublierais pas vos fous-rires en tous cas…



