J’atterris à Lima la veille la “Cumbre de los Pueblos ». Ce sommet des peuples est le pendant alternatif de la 20ème conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP20) qui se déroule dans la capitale péruvienne du 1er au 14 décembre 2014. Contrairement aux officiels qui débattent dans leur tour de verre, la Cumbre de los Pueblos aime le plein air; Elle a pris ses quartiers au sein du parc des expositions, superbe lieu initialement crée pour accueillir l’exposition universelle de 1872.

Les femmes sont à l’honneur du sommet des peuples.

Dans une ambiance bon-enfant festivalière mais pas moins chargée de matière grise, s’enchaînent 4 jours durant conférences-débats autour du partage d’expériences positives, concerts de musique trad’ engagée et présentation des trésors naturels, parfois comestibles dont recèle tout le continent!

 

Rituel d’offrandes pour la Pacha Mama.

Rappelons que les bouleversements climatiques impactent en 1er lieu les pays du Sud et les populations paysannes. Et que la COP20 a pour but de préparer l’élaboration du 1er accord mondial engageant pays industrialisés et pays en développement dans une action commune contre le réchauffement climatique.

Groupements citoyens en tous genres, leaders, représentants des communautés andines et amazoniennes, confédérations paysannes, syndicats des travailleurs miniers, ONG environnementales… Une foisonnante diversité de mouvements sociaux est venue des 4 coins du monde pour faire entendre sa voix dans un seul et même élan de fraternité. Pendant que les “grands patrons” de la gouvernance mondiale planchent sur la rédaction d’un brouillon d’accord non contraignant qui devra être signé à Paris en décembre 2015 (la très attendue COP21), la société civile s’active pour présenter des formes de développement qui respectent les limites et capacités régénératrices de la Terre Mère.

 

Confédération Paysanne du Pérou

 

Syndicat de travailleurs miniers.

 

Association Régionale des Peuples de la Selva Centrale.

 

L’urgence d’agir sur les causes structurelles du changement climatique en reconsidérant les modèles de production et de développement était au centre de toutes les discussions menées par des groupes de travail participatifs. Non, la société civile n’en est pas à sa 1ère tentative de faire pression sur les décideurs pour construire un projet politique universel basé sur la justice environnementale, la reconnaissance de la dette écologique, la lutte contre la marchandisation de la nature et des fonctions vitales de l’homme (avec en tête, l’eau et l’alimentation). Oui, le palpitant sujet des gaz à effet de serre a déjà été retourné dans tous les sens ces dernières décennies (voir encadré ci-dessous) … Seulement, rien ne nous dit que 8 États d’Amérique Latine (Colombie, Costa Rica, Équateur, Pérou, Argentine, Chili, Guatemala et Mexique) se seraient engagés à replanter 20 millions d’hectares de forêts et de terres agricoles dégradées – afin de recréer des puits de carbone naturels et ainsi lutter contre le réchauffement – lors de la conférence s’il n’y avait pas eu un brin de mobilisation citoyenne pour encourager le processus à voir le jour. Oui sur certains points, il y a des avancées mais que faire à notre échelle quand les grandes lignes étatiques ne vont pas dans le sens du peuple, ce qui est quand même souvent le cas?

Quels leviers d’action pour le peuple quand la gouvernance n’est pas établie par et pour lui?

Les mouvements sociaux se sont forcément métamorphosés en traversant les époques: de la révolte spontanée (d’esclaves ou d’ouvriers) au processus d’institutionnalisation qu’on connaît aujourd’hui, on ne peut nier l’intérêt de voir les organisations de la société civile intervenir sur la scène des négociations internationales. Mais quel est l’impact réel des mouvements sociaux sur les décisions politiques? Ne sont-ils qu’un pion de plus sur l’échiquier dans le jeu des négociations? Leur accorde-t-on une place pour mieux les contrôler? Je m’interroge…

Et si le vrai contre-pouvoir, ce n’était plus de chercher à le faire tomber mais de construire en parallèle,au quotidien, conformément à ses convictions?

Sur les points non négociables- et il y en a!-, l’acte de désobéissance civile me semble la réponse la plus pertinente. La Boétie avait 18 ans quand il a rédigé en 1549 son “Discours de la servitude volontaire”: “Dès l’instant qu’un peuple cesse de coopérer, l’État perd son pouvoir”. Les mêmes notions de résistance à une autorité ou une loi illégitime seront reprises 300 ans plus tard par David Henry Thoreau dans son essai “Résistance au gouvernement civil”(renommé par la suite “la désobéissance civile”) qui inspirera notamment Gandhi et Luther King dans leur lutte pour la défense des droits civiques. Thoreau est également considéré comme un pionnier de l’écologie: il a publié en 1843 “Le Paradis à (re)conquérir” dans lequel il passe en revue les sources d’énergie possibles et renouvelables (provenant des vagues, du soleil ou du vent…).

Les solutions existent mais l’autorité établie rechigne à les mettre en œuvre, alors que faire? Que faire quand ce n’est pas une loi qui entrave notre bien-être mais plutôt l’absence de régulation et l’abandon de poste de nos gouvernants pris dans l’engrenage de la toute-puissante loi du marché?

Dans “Change The World Without Taking Power” (paru en anglais en 2002), le sociologue John Holloway a mis en évidence que chacun pouvait changer le monde par des actes de résistance ancrés dans le quotidien. Il appelle ça le pouvoir-action. Cette mission incomberait aux personnes qui veulent s’impliquer localement pendant que les organisations de la société civile exercent leur mission de plaidoyer dans la sphère des relations internationales, dans ce village planétaire où le pouvoir consiste désormais “en la capacité à diffuser et faire adhérer à des idées” (“Contre-pouvoirs, de la société d’autorité à la démocratie d’influence”, Ludovic François et François-Bernard Huyghe, 2009). Ce qui m’intéresse dans cette double réalité, ce sont les gens qui n’attendent pas qu’on leur dise quoi faire, qui n’attendront jamais que les gouvernements se bougent pour impulser le changement qu’ils veulent voir dans leur sphère d’influence. Qui les aime les suivent…Ya voy (j’arrive)!

En ce 10 décembre 2014, au beau milieu de la grande marche des peuples pour le climat, point de convergence de 10 000 citoyens, je me fonds dans la foule et fusionne avec la folle énergie de l’émulation collective. Et je finis par chasser mes doutes et infinies questions pour me laisser porter par ces forces vives, citoyennes, qui dans leur réalité quotidienne, font émerger les VRAIES solutions!

 

Mouvement citoyen face au changement climatique.

 

 

    Mouvement des sans-terres.

 

 

Ashaninkas, peuple de l’Amazonie péruvienne.

 

 

La marche passe devant la cour de justice avec une banderole réclamant vie et souveraineté.