Les origines de la « révolution verte » remontent aux années 40. À l’issue d’une conférence panaméricaine jetant les bases de la gouvernance mondiale d’après-guerre, la Fondation Rockefeller incite l’administration du Mexique à créer sur son territoire l’Office of Special Studies, un centre de recherche agronomique. Ces investigations sont encadrées par Henry Agard Wallace, ministre de l’agriculture sous la présidence Roosevelt mais également fondateur en 1926 de Pioneer Hi-bred, la plus grande firme mondiale de semences de maïs hybrides de l’époque et qui pratique encore aujourd’hui son activité dans la plus parfaite hégémonie.

La fondation Rockfeller embauchera par la suite l’agronome Norman Borlaug (prix Nobel en 1970 pour ses fameuses trouvailles…) afin d’approfondir les études au Mexique sur l’augmentation du rendement des semences et le croisement des espèces. Ces découvertes technologiques seront ensuite testées au début des années 60 au Pakistan, en Inde et aux Philippines et mèneront à la création d’un réseau de centres de recherche et banques de semences sur les 5 continents.

1960/1990: l’apogée d’une révolution verte par les dollars qu’elle engrange.

L’énorme bond technologique réalisé en agriculture au cours de cette période va avoir entre autres effets:

  • L’effondrement de la diversité génétique des espèces végétales.

Il aura fallu près de 10 000 ans à l’humanité pour accumuler une grande diversité de plantes comestibles, originaires pour la plupart des régions tropicales et subtropicales.
Les migrations de population notamment, ont amené des espèces dites alimentaires dans les pays du Nord qui jusqu’à ce jour continuent de dépendre des matériaux génétiques du Sud.
Une révolution biologique démarre dès 1492, quand les conquistadores espagnols et portugais ramènent virus, germes et bactéries qui déciment les populations natives (mais y introduisent aussi riz, blé, canne à sucre, chevaux, vaches)…Pour ne pas revenir à vide, ils amènent aussi en Europe la pomme de terre, la cacahuète, tomate, mais, quinoa, tabac, coca et bien d’autres espèces…

En Europe et en Amérique du Nord, sous prétexte de développement urbain, plus qu’un style de vie l’agriculture va devenir une science et entraîner l’introduction de machines, engrais minéraux,produits phytosanitaires…
De nouvelles variétés à haut rendement vont être mises au point grâce à la sélection variétale. Dans le but d’accroître la productivité, les fondateurs de la révolution verte vont donc opter pour une uniformisation des espèces comestibles. Ils prétendront contrer cette érosion génétique par l’installation de banques de germo-plasma ainsi qu’une nouvelle génération de variétés créées en laboratoire.
Pourtant, les 16 centres du Groupe Consultatif International d’Investigation Agricole (CGIAR) qui existent à l’heure actuelle se sont toujours concentrés sur un petit nombre d’espèces commerciales comme le blé, le riz et le maïs. Poussés par les donations et pressions commerciales, ils ont causé d’importantes altérations dans les habitudes alimentaires de nombreuses populations dans le monde.

En résumé, les anciennes régions d’approvisionnement de comestibles hautement diversifiés sont à ce jour inondées des semences génétiquement uniformisées qu’offre un marché international dominé par les consortiums agroalimentaires. La sécurité alimentaire de l’ensemble de l’humanité s’en trouve menacée.

  • La ruine des petits producteurs.

«Les structures sociales coopératives du Tiers-Monde doivent être réduites en faveur d’une orientation agressive du marché.» Ces mots ont été prononcés par le président de l’Agriculture Development Council de la fondation Rockfeller. La population-cible des programmes de la révolution verte: les moyennes et grandes unités de production capables d’acheter des agents externes -semences modifiées- et produits chimiques allant de pair.
Les conséquences des réformes agraires ne se sont pas faites attendre: Destruction des structures agraires ↠ élimination des unités familiales de production ↠ exode rural ↠ augmentation de la faim.

Et l’Union Européenne dans tout ça?
Soucieuse de booster sa productivité, elle crée en 1961 la Politique d’Agriculture Commune (PAC). Initialement prévu pour stabiliser les prix et assurer la régulation des marchés, le dispositif va instaurer un système d’aides à l’exportation fonctionnant selon le mécanisme suivant: Incités à vendre à un prix inférieur à leurs coûts de production, les bénéficiaires des subventions vont écouler leurs stocks -en Afrique par exemple- où ils vendront à perte ce qui va avoir pour effet d’écraser la concurrence. Les prix vont alors chuter, ce qui sera forcément fatale pour les petits producteurs locaux. Puis, ils vont remonter en flèche ce qui aura des répercussions sur toute la population locale. Notons que cette pratique commerciale dite de «dumping agricole» est considérée comme de la concurrence déloyale par la législation communautaire et qu’elle est donc théoriquement interdite. En pratique, les Organisations Internationales accordent des crédits aux gouvernements pour développer une agro-industrie orientée sur l’expansion et l’exportation des productions agricoles primaires.
En accord avec les modèles européen et nord-américain, les pays du Sud dépensent leurs rares ressources publiques en subvention pour de grosses firmes au détriment du soutien aux petites et moyennes unités de production. Les seules aides dont bénéficient ces derniers sont alors des paquets technologiques qui contribuent à la disparition des techniques ancestrales.

En 50 ans, la population agricole en France est passée de 20% à 2%.

Les années 90: Une seconde révolution, celle des biotechnologies.

Si l’on ne peut nier l’immense potentiel de la microbiologie pour la médecine et l’agriculture, les avancées récentes en ce domaine constituent une arme dangereuse une fois aux mains des multinationales de l’agrochimie. Les variétés hybrides à haut rendement obtenues par croisement d’espèces ont été éclipsées par des semences transgéniques obtenues au moyen de l’introduction du code génétique d’une espèce dans une autre. Grâce à un savant système de brevetage, un petit nombre d’entreprises bénéficie d’un monopole sur ces OGM et les produits chimiques dont ils dépendent. Détenant un droit exclusif de propriété, ces consortiums vont contraindre les agriculteurs à utiliser des semences «terminator» stériles et leur interdire de semer les graines de leurs propres récoltes.

Parallèlement,au début des années 2000, on assiste à la flambée des biocombustibles et les terres arables sont envahies de monoculture intensive de canne à sucre pour l’éthanol, soja et palme pour l’agrodiesel, le tout génétiquement modifié bien sûr.

Outre la détérioration des sols et les impacts sur la santé des producteurs (on peut citer le cas du glyfosate ou RoundUp, désherbant de synthèse crée par la firme Monsanto, et récemment classé dans la catégorie des pesticides cancérigènes par l’OMS), cette nouvelle vague d’agriculture extensive détournant les denrées alimentaire de leur vocation 1ère creuse encore davantage le fossé existant entre ceux qui souffrent de la faim et ceux qui en font un business.

L’ agriculture “moderne” était censée nous nourrir tous alors comment se fait-il que le monde ait traversé une crise alimentaire majeure en 2008 ?

Les mexicains ont été les premiers à descendre dans la rue pour protester contre l’explosion soudaine du prix du maïs (40% d’augmentation en quelques mois). Un an plus tard, l’inflation du prix des denrées alimentaire de base fera éclater des émeutes de la faim partout en Afrique. Parmi le nombre incalculable de causes de cette crise également énergétique et financière: les agrocarburants, l’homogénéisation des habitudes alimentaires (la demande croissante en viande de la Chine par exemple), l’abandon des cultures vivrières, la volatilité des prix sur le marché international…

Autre phénomène qui gangrène aujourd’hui le monde rural, celui de la privatisation des terres arables: Chaque année, des millions d’hectares se retrouvent aux mains des spéculateurs, multinationales et capitaux étrangers, qui investissant dans la monoculture, la construction d’aéroports … La dynamique d’ accaparement des terres et de concentration foncière sévit désormais sur tous les continents.

Voilà que nous menons aujourd’hui un combat totalement déséquilibré juste pour faire reconnaître une évidence: la terre est un bien public et non une marchandise.
Ce combat est celui de tous les petits producteurs du monde menacés dans leur organisation économique et sociale en plus de l’être dans leurs traditions millénaires.

Mais la résistance n’est pas seulement l’affaire des « Sans Terre », de « Via Campesina » et autres organisations paysannes, il s’agit du combat de tous pour tous et pour ce grand tout qu’on peut rassembler sous le nom de biodiversité. C’est le combat de tous les consommateurs qui se soucient de leur santé, et sans nécessairement se qualifier de militant écologiste, le combat de tous ceux qui ne peuvent tolérer la destruction de l’environnement, maison de l’humanité.